Messe d’action de grâce pour la présence du carmel à Saint-Germain-en-Laye
1863-2021
Je vous propose de retarder un peu nos montres, jusqu’en octobre 1863. A Paris, Napoléon III est Empereur des Français. A Rome c’est Pie IX qui est le pape, et Mgr Jean-Pierre Mabile est évêque de Versailles. A Saint-Germain-en-Laye, le petit Claude Debussy est âgé d’un an à peine. Et c’est à l’invitation du curé de la ville que Mère Madeleine, et cinq carmélites, arrivent de Lille pour fonder un nouveau carmel. La ville est en pleine transformation depuis qu’elle est reliée à Paris par la première ligne de chemin de fer de France dédiée au transport de voyageurs, ouverte 25 ans plus tôt. Revenons en juin 2021. Ce bref saut dans le temps nous a permis de mesurer l’épaisseur, historique et spirituelle, de ce que nous célébrons aujourd’hui : 158 ans de présence priante du carmel au cœur de Saint-Germain-en-Laye. 158 années qui font tout à la fois notre tristesse de sa fermeture aujourd’hui, et notre volonté de rendre grâce pour la fécondité de cette présence. Il est toujours difficile de mesurer la fécondité de la prière. La solennité du Sacré-Cœur que nous avons choisi de célébrer ce jour nous y aide, en nous révélant le sens de la vie de prière continuelle vécues par les générations de carmélites qui se sont succédées à Saint-Germain.
« Jésus venait de mourir ». Avant qu’il ne soit descendu de la Croix, un des soldats lui enfonça sa lance dans le cœur. « Et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. » Cet épisode de la Passion que nous venons de réentendre, le dernier acte en quelques sortes, a tellement frappé Jean qu’il a tenu à nous le rapporter, lui seul parmi tous les évangélistes, et même à le contresigner, à le couvrir de son autorité de témoin visuel : « Celui qui a vu rend témoignage, afin que vous croyez, vous aussi. » Il n’y a rien d’étonnant à ce que Jean ait été sensible à ce détail, et qu’il en saisisse instantanément toute la portée symbolique : n’est-il pas, de tous les disciples, celui qui avait partagé au plus près l’intimité du cœur de Jésus ? N’est-ce pas lui, au soir du Jeudi Saint, que les peintres représentent au côté du Maître, penché sur sa poitrine, comme pour écouter battre son cœur ? Mais ce cœur ne bat plus. Au pied de la Croix, avec Marie, Jean est témoin de ce dernier outrage fait à ce cœur qui a tant aimé le monde, et il ne peut détacher son regard de l’eau et du sang qui s’en échappent.
Bienheureux témoignage de Jean ! Car depuis 2000 ans que ce cœur s’est remis à battre au matin de Pâques, l’Eglise n’a plus jamais détaché son regard de lui, depuis qu’elle a pris naissance dans les fleuves de grâce qui en jaillissent sans cesse. Bien plus tard, 100 ans seulement avant la fondation du carmel de Saint-Germain, on dédiera dans toute l’Eglise une fête particulière au Sacré-Cœur. Peut-être sommes-nous spontanément moins à l’aise aujourd’hui avec cette dévotion qui emprunte au style littéraire de la métonymie : depuis quelques jours, grâce au déconfinement et au retour du beau temps, il est de nouveau possible de boire un verre sur les terrasses de Saint-Germain. C’est une métonymie, car bien-sûr je vous conseille de ne boire que le contenu du verre, et non pas le verre lui-même, si vous ne voulez pas vous retrouver aux urgences ! Avec le Sacré-Cœur de Jésus c’est pareil : il ne s’agit pas bien-sûr de célébrer le contenant, mais le contenu ; non pas l’organe biologique, mais l’amour dont il est le signe. C’est pourquoi, en contemplant le Sacré-Cœur, on touche à la totalité de la personne de Jésus et de son Mystère.
Le cœur est en nous le siège de nos sentiments les plus profonds : l’amour bien-sûr, la haine aussi ; l’amitié comme l’égoïsme ; la joie comme la tristesse ; bref, tous ces sentiments qui nous gouvernent, qui colorent notre vie lorsqu’ils nous habitent. Le cœur est le centre le plus intime de la personne : on peut violer l’intégrité d’un corps, on peut pénétrer l’intimité d’une intelligence, mais on ne peut pas prendre possession d’un cœur par la force. Même un cœur « à prendre » est en réalité un cœur qui attend de se donner, librement. C’est librement aussi que Dieu s’est fait un cœur, en devenant homme, pour pouvoir nous le donner. Il s’est fait un « cœur à prendre » qui attend d’être reçu par d’autres cœurs humains, à qui il voudrait partager sa miséricorde. Il avait déjà offert son amour à Israël bien avant de se faire homme, comme en témoigne le passage du prophète Osée que nous avons entendu dans la première lecture. Et c’est pour pouvoir renouveler cette offre à tous les hommes et à toutes les femmes de tous les temps qu’il se choisit, à chaque époque, des cœurs consacrés, comme celui des moniales carmélites.
La vocation de moniale contemplative peut se résumer à cela : offrir tout son cœur à Dieu par la prière et l’écoute de sa Parole, pour que Dieu le remplisse de son amour, à l’école de Marie qui « méditait toutes ces choses dans son cœur » (cf Lc 2,51). Dans la foule des disciples de Jésus aujourd’hui, les carmélites tiennent la place de saint Jean, penché sur le cœur de Jésus au soir du Jeudi-Saint. Elles se tiennent dans une intimité avec Dieu que Thérèse de Lisieux - qui naîtra 10 ans après la fondation du carmel de Saint-Germain - résume ainsi dans une lettre à sa sœur Céline : « Tu sais, moi, je ne vois pas le Sacré-Cœur comme tout le monde. Je pense que le Cœur de mon époux est à moi seule, comme le mien est à lui seul et je lui parle alors dans la solitude de ce délicieux cœur à cœur, en attendant de le contempler un jour face à face… » (Lettre 122, à Céline)
C’est pour dire la profondeur de son intimité avec le Christ que Thérèse ose écrire « le cœur de mon époux est à moi seul », mais elle sait bien qu’il n’est pas pour elle seule : en vérité il ne s’agit pas d’un cœur à cœur en circuit fermé, d’une sorte de narcissisme mystique comme le proposent bien des spiritualités à la mode. Les carmélites offrent leur cœur à Dieu pour le monde entier : pour ceux qui aiment Dieu et se savent soutenus pas la prière de leurs sœurs, comme pour ceux qui ignorent Dieu, voire le rejettent. Voilà tout le programme de vie contenu déjà dans la dénomination officielle du carmel de Saint-Germain : « Carmel du Sacré-Cœur Réparateur et de Notre-Dame du Mont-Carmel. » Forte de sa connaissance intime du cœur de Dieu, Thérèse peut témoigner de la puissance de son amour à ceux qui viendraient à en douter. A son ami l’abbé Bellière elle écrit par exemple : « Ah ! mon cher petit Frère, depuis qu’il m’a été donné de comprendre aussi l’amour du Cœur de Jésus, je vous avoue qu’il a chassé de mon cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m’humilie, me porte à ne jamais m’appuyer sur ma force qui n’est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d’amour. » (Lettre 127, à l’abbé Bellière)
Pendant 158 ans, les carmélites ont ainsi parlé, par leur vie silencieuse, de miséricorde et d’amour. Elles continuent à le faire aujourd’hui dans plusieurs dizaines de couvents à travers la France. Alors en rendant grâce pour le témoignage porté dans notre diocèse, nous prions pour les vocations dans toute la famille du Carmel. Nous demandons au Seigneur d’allumer dans le cœur de nombreuses jeunes femmes l’amour de son Sacré-Cœur, au point de lui consacrer leur vie avec l’ardeur qui faisait s’écrier à Thérèse de Lisieux :
« Ô Cœur de Jésus, trésor de tendresse
C'est toi mon bonheur, mon unique espoir,
Toi qui sus charmer ma tendre jeunesse
Reste auprès de moi jusqu'au dernier soir
Seigneur, à toi seul j'ai donné ma vie
Et tous mes désirs te sont bien connus
C'est en ta bonté toujours infinie
Que je veux me perdre, ô Cœur de Jésus ! »
Mgr Bruno Valentin
13/06/2021
La vidéo de la messe d'action de grâce
Le texte d'Alix Vinet pour l'action de grâce
REMERCIEMENTS
Très chères Sœurs, chers tous,
Sœur Jeanine, sœur Bernadette, sœur Marceline, sœur Denise, Sœur Nicome présentes aujourd’hui, ainsi que Sœur Marie-France, Sœur Geneviève qui n’ont pu se déplacer. Nous pensons aussi à Sœur Marie et Sœur Simone et tant d’autres sœurs sur terre et déjà au Ciel.
Le Père Benoît m’a demandé de vous exprimer ce que ressentent aujourd’hui vos très nombreux amis du Carmel.
C’est, accompagnés au son du violon ou de la cithare de sœur Jeanine, que nous pourrions lancer un immense feu d’artifice d’action de grâce pour tout ce que vous êtes !
Tant de vies données dans ce Carmel depuis si longtemps !
( Songez que sœur Jeanine est entrée au carmel de Saint Germain le 15 juillet 1949).
Merci pour votre accueil, votre écoute et votre soutien.
Merci pour votre accompagnement et votre fidélité dans la prière.
Merci pour votre amour pour chacun.
Merci pour votre oasis de paix que vous avez partagée sans limite.
Merci pour votre courage et votre espérance.
Merci pour votre joie de chaque instant.
Merci pour vos vies offertes et données pour le monde, pour chacun de nous tous et pour le salut des âmes.
Merci Merci Merci ! Il y aurait tant de mercis à dire…
Et pour mieux saisir votre sagesse, il faut se rappeler quelques-unes de vos phrases clés, moteurs de vos vies, qui résonnent dans nos mémoires :
1 « Rendre Amour pour Amour »
2 « Tout faire pour la gloire de Dieu » car « comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? »
3 « Tout est grâce », et ainsi vous voyez le Christ en chacun.
4 « Toute vie a du prix »
« Tout acte prend un sens sous le regard de Dieu »
5 « Nous sommes de passage sur cette terre » aimez-vous à dire, « tout est vain, hormis Dieu ! »
6 « Tout faire par amour », comme le disait Sainte Thérèse. Et alors c’est la paix et la joie qui vous habitent.
Ainsi, vous avez accepté le quotidien difficile avec la fermeture de votre monastère, dans l’obéissance, et dans la perspective de l’ouverture vers le Ciel, vers l’Eternité. Vous avez embrassé la croix tout en restant dans la Joie pour faire la volonté de Dieu.
Et , lorsque l’on vous parle de vos souffrances, vous nous rappelez l’amour inconditionnel de Dieu et sa présence dans vos vies, dans vos cœurs et dans votre prière.
Alors, en guise d’au revoir, vous nous dîtes à tous, d’une voix céleste et cristalline : « A toujours dans la prière ».
Très chères sœurs, soyez mille fois remerciées !
Grâce à vous le monde est meilleur et le Christ est davantage présent ; vous nous avez fait partager un avant-goût de la vie éternelle sur terre. Et voici quelques orchidées qui vous expriment la gratitude de la paroisse. Nous vous embrassons toutes.
Le texte de Soeur Marie Paul
Messe d’action de grâce le Dimanche 13 Juin 2021.
C’est en octobre 1863 que Mère Madeleine et cinq carmélites venant de Lille arrivaient à St Germain en Laye pour fonder un carmel rue de Poissy. La première messe fût célébrée le 24 novembre. Puis en 1865, le carmel s’installait dans les fonds de St Léger, lieu plus propice à une vie monastique, sous la houlette de Mère Anne de Jésus, qui œuvra à cette nouvelle construction. Le monastère fut érigé sous le nom du Sacré-Cœur Rédempteur et de Notre Dame du Mont Carmel. La première messe fut célébrée le 24 décembre 1865.
La communauté a connu bien des épreuves tout au long de son histoire, des évènements douloureux pour notre pays, qui ont amené les sœurs à quitter leur monastère plusieurs fois, comme en 1870, en 1901, et 1944. Puis en 1948-49, une épidémie de grippe infectieuse décima une grande partie de la communauté. Les habitants de St Germain vinrent au secours des sœurs qui étaient alors très démunies. Par l’arrivée de carmélites venues d’autres monastères, et de nouvelles vocations, la communauté reprit force. Au lendemain de Vatican II, la chapelle restée inachevée fut dotée d’une nef, ce qui agrandit la possibilité d’accueil pour la prière et nombreux sont les fidèles qui se retrouvaient ainsi autour de la communauté.
En avril 2019 la Prieure Sœur Marie Dominique et le chapitre du carmel prirent la décision de fermer le monastère, en raison de l’âge des sœurs, de son petit nombre et du manque de vocation. Sœur Marie Dominique, nous a quitté quelques semaines plus tard, emportée par la maladie. La Congrégation pour la vie consacrée a autorisé la fermeture par décret en date du 1er Mars 2021.
En raison de la pandémie nous avons dû renoncer à l’accueil des fidèles à la chapelle, ce qui a entraîné une séparation un peu brutale avec les habitués, à notre grand regret. Certaines sœurs ont rejoint la maison des Augustines à Versailles, tandis que d’autres sœurs selon leur choix quittent le diocèse tout en étant rattachées à un carmel de la Fédération France Nord.
L’association « Les amis du monastère » veille à la destination de la propriété, en dialogue avec la communauté. A ce jour, nous ne connaissons pas le devenir des bâtiments. Une chose est sûre est que l’espace vert sera protégé. Conformément à la demande de la Congrégation romaine pour la vie consacrée, une part du bien financier de la vente servira à la prise en charge des neuf sœurs et un fonds sera dédié à notre Fédération pour venir en aide aux autres carmels. Une autre partie sera attribué à certaines fondations caritatives. Un don sera fait au diocèse pour la vie consacrée. Nous remercions le Président de l’association Mr Michel Delahaye, ses prédécesseurs, les membres de son assemblée pour leur dévouement, leur bon conseil tout au long de ces années.
Nous souhaitons remercier tous les amis, qui nous ont aidées et nous aident encore dans cette étape délicate. Tous ceux qui - excusez-moi de le dire ainsi, mais c’est notre réalité depuis plusieurs mois - tous ceux qui se sont retroussés les manches, pour ranger, trier, enlever, transporter le mobilier et autre. Chers amis, je ne me risque pas à vous nommer, pardonnez-moi, car je ne veux en oublier aucun. Vous savez notre gratitude qui va bien au-delà des mots, si pauvres en la circonstance, pour vous dire « MERCI ». Dieu sait, qu’Il vous bénisse ainsi que vos familles.
Merci à vous chers Prêtres, qui avez accompagné la communauté à l’occasion des célébrations eucharistiques et sacramentelles. Nous vous gardons dans notre prière.
Merci aux religieuses, qui êtes venues prier avec nous si souvent, nous partageant aussi les différents aspects de votre engagement dans le diocèse.
Avec vous tous, nous voulons rendre grâce pour ces 158 ans de présence au milieu de vous, partageant les joies et les peines de tant de familles devenues proches, mais aussi et surtout, la Foi au Christ Ressuscité. Le monastère ferme ses portes, mais la vie carmélitaine continue ailleurs dans sa mission de louange et d’intercession pour tous les hommes. Notre Fédération compte trente-deux carmels, et il y a trois Fédération en France. La mission demeure pour chacun d’entre vous : A la suite du Christ, vous devez transmettre aux générations à venir, l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Ceci sera pour nous, carmélites, la plus belle reconnaissance que vous puissiez nous offrir. Et nous comptons sur les communautés de l’Ordre carmélitain séculier pour maintenir ici la flamme du carmel.
Nous partons le cœur attristé mais plein de reconnaissance pour Celui en qui nous avons mis toute notre confiance et notre Espérance.
En conclusion je veux emprunter les mots de Ste Thérèse de Jésus comme un encouragement que j’adresse en particulier à mes sœurs carmélites devant cette nouvelle page blanche de votre histoire que Dieu veut écrire avec vous. Mais avant laissez-moi vous dire merci pour votre confiance. Merci à toi sr Camille pour ton soutien fraternel, ton entraide efficace et discrète, merci à sr Marceline et sr Denise, mes deux piliers sans qui je n’aurai pas pu mener à bien cette mission. Maintenant laissons le dernier mot à Ste Thérèse.
« Que rien ne te trouble, que rien ne t'épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit. Elève ta pensée, monte au ciel, ne t'angoisse de rien, que rien ne te trouble. Suis Jésus Christ d'un grand cœur, et quoi qu'il arrive, que rien ne t'épouvante. Tu vois la gloire du monde ? C’est une vaine gloire ; il n'y a rien de stable, tout passe. Aspire au céleste, qui dure toujours ; fidèle et riche en promesses, Dieu ne change pas. Aime-Le comme Il le mérite, Bonté immense ; mais il n'y a pas d'amour de qualité sans la patience.
Que confiance et foi vive maintiennent l'âme. Celui qui croit et espère obtient tout. Celui qui possède Dieu, même si, lui viennent abandons, croix, malheurs, si Dieu est son trésor, il ne manque de rien. :
Même si l'on vient à tout perdre, Dieu seul suffit. Amen. »
Je me fais la voix de mes sœurs carmélites, nous vous disons, Aurevoir les Sangermois
Et que Dieu soit béni,
Vos sœurs du carmel de ST Germain en Laye.
Retrouvez en cliquant sur ce lien notre article précédent et les premiers témoignages de paroissiens sur l'au revoir aux soeurs du Carmel.
0 commentaires